Morceaux de vie

Ils avaient 20 ans...

... dans les années 70, des cheveux longs, des rêves plein la tête et des mobylettes. Dans cette campagne du bout du monde, ils pouvaient ainsi mieux se retrouver … Je serai…. Nous ferons….. Nous irons…. De conciliabules en conciliabules, ils refaisaient le monde, leur monde qu’ils voulaient différencier de celui des adultes. Adultes, ils s’étaient jurés de ne pas le devenir même s’ils devenaient boulangers, agriculteurs, facteurs, pilotes d’avions, peintres ou médecins.

Un grand trou noir l’a happée, un labyrinthe parsemé de machines l’a pressée, compressée, déformée. Des appels au secours, des hurlements violents. Ensanglantée, meurtrie dans tout son corps, l’enfant de 20 ans avait perdu ses pinceaux et était tombée dans une cage en verre. Des corps aux visages déformés s’approchaient d’elle pour mieux l’emprisonner. Des matronesses préfabriquées aux lunettes grimaçantes, des talons aiguilles gigantesques, des jupes serrées démesurées. Un petit homme aux yeux de fouine et malveillants. Un homme aux galons en acier et destructeur. Une femme venue d’ailleurs, un visage figé, un esprit étriqué style coupe-tête dans un costume désuet. Un visage au chignon rempli de nœuds de vipères. Des hommes et des femmes aux visages acides et aux mots vitriolés. L’enfant n’avait plus ses jeans, ni ses cheveux longs. Elle flottait dans un uniforme grotesque. Elle se remit à crier, à chercher l’issue de sortie mais de couloir en couloir et de cage de verre en cage de verre, elle se heurtait et se fracassait chaque minute un peu plus. Elle su qu’elle était prisonnière à jamais. Alors sa voix se tue pour toujours, pour subir, s’écraser, se modeler. Elle enviait même les hommes de plomb qui marchaient dehors, dans la même direction, vers des murs en béton.

Jacqueline Mournat (morceaux de vie...)